
1857
1864
1869
1871
1919
1921
1936
Le projet Fantasy (IRP 840) réalisé à
l'atelier Greenhouse de Saint-Etienne est un dispositif
s’inscrivant dans l’espace central du lieu. Inspiré par la présence
des campagnes du Pilat et du Forez, il est la production d'un
imaginaire de cet environnement. Tout autant que les canevas, posters, et
cartes postales tirés Des Glaneuses de Jean-François Millet,
il en est la poursuite et l'extension, la synthèse d'un réel en dualité
entre la nature d'une représentation et l'artifice d'une parcellisation.
C'est dans la superposition d’un premier et d’un arrière plan, comme celui de
la forme et du fond, du paysage et de ce qui le façonne, que cet imaginaire
joue la confusion des genres entre les caractères ontologiques du matérialisme et
de l'idéalisme. En s'abstenant du réalisme de la chaîne de
production, le dispositif poursuit cette idée d'un code sans message(1).
Le dispositif se constitue à travers les trois séries (IRP, DECA, LM) qui
sont venues prendre l’emplacement qui pouvait être le leur. Suivant cet
espace d'ensemble linéaire : une dalle en béton compartimentée par des
joints de dilatations, une enfilade de colonnes, des rails de néons,
quatre pans de murs, huit fenêtres, une loggia.
Dans Fantasy la forme est un agencement du plan et de la masse représentant des
situations unidimensionnelles. A ce degré du décoratif, les motifs
rouges et verts s’inscrivant sur les trois murs sont aux proportions et aux
teintes de deux moissonneuses batteuses de l’agriculture intensive : Une rotary
combine Massey Ferguson 8570 et une John Deere 2266
des années 80 - 90's. Leurs gabarits se présentent à l'échelle un demi, à
l'exception d'un motifs qui est aux vraies dimensions de la machine.
Les peintures murales, images évidées des machines vues de face ou de côté,
sont des marqueurs d’espace. Leur distance génère la disparition partielle de
leur habillage de bande grise et jaune, et ne laissent transparaître de leur
posture qu'un ceinturage formant une ligne d'horizon : Ring dans
lequel s'affrontent les formes.
Installées devant le dernier pan de mur sous une rampe de néons, les balles de
fourrage établissent une ligne intégrant le centre des dalles jointées. Cette
ligne de démarcation de sculptures marchandes est la traduction d'un repère
entre les temporalités fermées (globalisme, dogmes) et
les temporalités ouvertes (conscience historique). Mais elle
figure aussi en relief l'alternance de la ligne horizontale des
motifs. La frontalité des ballots marque la séparation de l'intérieur avec
l'extérieur, de l'autre côté des fenêtres du bâtiment, qui donne un point
de vue sur la campagne. C'est métaphoriquement parlant la forme cinétique du
dispositif où le vrai est un moment du faux.
A l'image du pont de la moissonneuse, la situation sur la loggia relève du confinement. Elle montre deux paysages qui se déclinent dans une vue panoramique, à mi-chemin entre une réalité extérieure (façonnée) et une image intérieur (fragmentée).
Au plan s’ajoutent des limites, au nuancier des teintes, à la masse un poids, à
la banalité la fantaisie.

Notes,
1) Le message photographique et le message sans code de Roland Barthes
"Depuis Le
message photographique,
un texte paru en 1961, plus directement centré sur la photographie
de presse jusqu'à son dernier livre La
chambre claire en
1980, Roland Barthes a continuellement insisté sur
l'aspect paradoxal du
message photographique qu'il définit à la fois comme un message
sans code puisqu'il s'agit d'un analogue mécanique du réel chargé
d'un pouvoir exceptionnel de dénotation mais aussi d'un message codé
susceptible d'accueillir des procédés de connotation. Dans le
premier texte cité, il distinguait les procédés de connotations
suivants: trucage, pose, objets, photogénie, esthétisme et syntaxe:
"Le paradoxe photographique, ce serait alors la coexistence de
deux messages, l'un sans code (ce serait l'analogue photographique),
et l'autre à code (ce serait l'art, ou le traitement, ou l'écriture
ou la rhétorique de la photographie)". Il reconnaissait
également comme autre procédé de connotation, l'adjonction de
texte sous l'image, avec pour but essentiel d'expliciter, de
signifier et de réassurer l'homme dans un système de codes
qui lui est familier. Lorsqu'en effet j'ai recours à la langue pour
évoquer une photographie, je change de structure, j'opte pour un
message définitivement codé, connoté qui prend parti sur les
choses. Cependant, Barthes distinguait une photographie au-delà du
langage, l'image traumatique:"...ce qui suspend le langage et
bloque la signification". Devant une telle image, je ne peux
trouver aucun langage par ce que la présence certaine du
photographe, ("Il fallait que le photographe fût là...")
est un garant de dénotation. L'explication et le commentaire servent
avant tout à intégrer l'homme dans la société, à le rassurer et
le trauma pur, lui, reste au delà de cette capacité de la langue,
déstabilisant la relation habituelle de consommation d'image et de
texte.
Dans
un texte plus tardif (1964), Rhétorique
de l'image,
Barthes reviendra sur ces rapports du message linguistique dans ses
rapports au message iconique. Il distinguera entre un procédé
d'ancrage et
de relais (lorsque
texte et image sont en rapport de complémentarité, par exemple dans
les dessins humoristiques et bandes dessinées). Soulignant la
présence constante du message linguistique dans toutes les images de
notre société (par exemple comme titre, légende, articles de
presse, dialogue de film), il insistera alors sur les techniques de
normalisation et de fixation de ce sens. L'image, de nature
polysémique est une interrogation sur le sens; le message
linguistique, le plus souvent, une technique de fixation du
sens: "(...)
or cette interrogation apparaît toujours comme une dysfonction, même
si cette dysfonction est récupérée par la société sous forme de
jeu tragique (Dieu muet ne permet pas de choisir entre les signes) ou
poétique (c'est le frisson du sens - panique - des anciens grecs; au
cinéma même, les images traumatiques sont liées à une incertitude
(à une inquiétude) sur le sens des objets ou des attitudes. Aussi
se développent dans toute société des techniques diverses
destinées à fixer
la chaîne flottante des signifiés, de façon à combattre la
terreur des signes incertains: le message linguistique est l 'une de
ces techniques."
La
valeur répressive du texte (surtout dans sa fonction d'ancrage) sert
donc à diriger le lecteur dans sa lecture de l'image, le texte
devenant "(...) vraiment le droit de regard du créateur (et
donc de la société) sur l'image". Plus
tardivement, dans des textes ambigus, entre essais photographiques et
romanesques, par exemple Roland
Barthes par Roland Barthes (1975) ou La
chambre claire,
Barthes repensera ces limitations théoriques en explorant diverses
combinatoires d'entre texte et images. (...)Dans Roland
Barthes par Roland Barthes,
l'auteur déstabilise complètement les jeux de correspondances et de
commentaires instaurés traditionnellement entre le texte et la
photographie. Communément, (...) le rôle de la photographie
consiste à dévoiler un visage derrière l'écriture, à nourrir la
curiosité du lecteur, à rajouter des informations pouvant enrichir
le texte de l'écrivain connu. Dans Roland
Barthes par Roland Barthes,
ce sont les photographies qui ouvrent le texte mais elles sont
présentées par l'auteur comme un choix d'après l'écriture, ce qui
perturbe la chronologie du texte et montre son aspect de
construction: "Voici, pour commencer, quelques images: elles
sont la part du plaisir que l'auteur s'offre à lui-même en
terminant son livre". Dans un mouvement inverse, le texte est
aussi une évaporation progressive de l'image, puisque la seconde
partie correspond à un corps fait uniquement d'écriture, à une
liberté gagnée sur les codes de l'image et de l'Imaginaire:
"Un autre imaginaire s'avancera alors: celui de l'écriture. Et
pour que cet imaginaire-là puisse se déployer sans être jamais
retenu, assurée, justifié par la représentation d'un individu
civil, pour qu'il soit libre de ses signes propres, jamais
figuratifs, le texte suivra sans image, sinon celle de la main qui
trace."
Le
passage calculé de l'image au texte correspond alors à la
naissance de l'écrivain, débarrassé de son image, de ses
photographies, alors maître de ses signes propres. Ce
jeu d'entre texte-image, cette évacuation de l'image photographique
se retrouvent dans la forme de L'image
fantôme;
texte d'Hervé Guibert (...) qui se consacre à l'image
photographique et à la prise photographique, et plus
particulièrement à ses manques, aux images mortes nées laissées
sur la rétine du photographe et qui pour différentes raisons n'ont
jamais été développées. Il s'agit de 64 petites scènes, en
général brèves, narrées de façon toute personnelle par l'auteur.
L'auteur y traite aussi bien de "L'image érotique"
que de L'autoportrait" ou de L'image cancéreuse" et se
promène dans le champ hétéroclite des manifestations subjectives
de la photographie.
Ce
texte n'incluant aucune illustration, il devient alors la seule
matière visible et tout aspect potentiellement analogique de l'image
est gommé d'avance. Le texte ne peut donc jamais servir d'ancrage ou
de relais ou
contrôler l'interprétation de l'image puis qu'il est tout puissant.
Pourtant, la photographie en tant qu'objet virtuel et imaginaire
n'est pas non plus dépossédée de sa polysémie: l'objet flottant
qui naît de ces descriptions d'images avortées est laissé à
l'imaginaire du lecteur. Il s'agit d'un nouveau rapport à l'image,
un rapport à la fois directif et virtuel puis que le lecteur n'a pas
la présence physique des images, un rapport d'entre,
de déstabilisation volontaire des signes.
Le
lecteur est donc livré au pouvoir narratif absolu mais laissé aussi
beaucoup plus libre dans sa propre évocation d'images puisque les
photos ne constituent pas un référent analogique qui viendrait
enfermer la lecture dans les contraintes habituelles de lecture
d'image. Le narrateur de L'if nous
précise même que l'inclusion de photographies réelles dans le
livre aurait eu pour effet (et nous repensons à Barthes) de stopper
l'écriture. Dans "Les photos préférées", il explique:
"Je pourrais acheter ces photos (...) J'ai même penser
les incorporer au livre, mais au fur et à mesure que j'avance,
elles deviennent étrangères à mon récit, qui devient vraiment un
négatif de photographie". Guibert a choisi, dans la lignée de
Barthes, de refuser la lourdeur analogique de l'image.
Quant
à La
chambre claire,
ouvrage paru une année seulement avant L'image
fantôme,
les allusions y sont constantes. Ce que je veux souligner, c'est la
continuité dans ce jeu subtil de textes et d'images chez Roland
Barthes: l'image forte de la Chambre
claire, La
photo du jardin d'hiver,
est celle du trauma, puisqu'il s'agit d'un trauma d'amour, la mère
de l'auteur venant juste de mourir. Or, cette fois-ci, ce ne sont pas
les mots qui font défaut mais l'image même, comme si les deux ne
pouvait pas cohabiter. Le texte existe parce que la photographie
n'est pas là. Barthes orientera tout son chant d'Eros et Thanatos de
la seconde partie en dérobant au lecteur cette image absolue,
invisible, car au-delà des mots dans un rapport classique d'ancrage.
Seule la photographie de Daniel Boudinet, l'étrange Polaroïd, 1979
bleuté servant d'ouverture au livre, évoque la couleur du regard de
la mère. Rideau muet, absence fantomatique de la mère, cette image
ne trouvera jamais de contrepartie textuelle... Au coeur de La
chambre claire,
l'écrit tourne toujours autour de l'image manquante. L'image
fantôme emprunte
et réactive ce scénario de soustraction. Chez Guibert, on est
toujours dans l'univers de la perte, d'empêchement d'images, d'oubli
d'appareil, dans la faille. Le livre, en effet, "...parle de la
photo de façon négative, il ne parle que d'images fantômes,
d'images qui ne sont pas sorties, ou bien d'images latentes, d'images
intimes au point d'en être invisibles."
Frédérique
Poinat, L'oeuvre
siamoise: Hervé Guibert et l'expérience photographique,
L'Harmattan, 2008.
2) Dates / insurrections / Représentation
1857 Les Glaneusese de Jean-François Millet
1864 Manifeste inaugural de l'Association Internationale des Travailleurs de K. Marx et F. Engels
1869 Fusillade du Brûlé à la Ricamarie
1871 La Commune de Paris
1919 Berlin
1921 Kronstadt
1936 Barcelone
3) Links :
IRP (840) Fantasy - views-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
[Merci à Perrine Lacroix, Emmanuel Louisgrand et Audrey Regala]
