Darstellung  / Vorstellung


Le projet Fantasy réalisé à l'atelier Greenhouse 
de Saint-Etienne est un dispositif s’inscrivant
dans l’espace central du lieu. Inspiré par
la présence des campagnes du Pilat et
du Forez, il est la production d'un imaginaire de
cet environnement. Tout autant que les canevas, posters,
et cartes postales tirés Des Glaneuses de Jean-François Millet,
le projet est une extension, et la synthèse d'un réel en
dualité entre l'artifice et la nature.

C'est dans la superposition d’un premier et d’un arrière plan,
comme celui de la forme et du fond, du paysage et de ce qui
le façonne, que cet imaginaire joue la confusion des genres entre
les caractères ontologiques du matérialisme et de l'idéalisme.
En s'abstenant du réalisme de la chaîne de production, le dispositif
poursuit cette idée d'un code sans message.(1)

Le dispositif se constitue à travers les trois
séries (IRP, DECA, LM) qui sont venues prendre
l’emplacement qui pouvait être le leur. Suivant cet espace
d'ensemble linéaire : une dalle en béton compartimentée
par des joints de dilatations, une enfilade de colonnes,
des rails de néons, quatre pans de murs, huit fenêtres,
une loggia.

Dans Fantasy la forme est un agencement du plan et
de la masse représentant des situations unidimensionnelles.
A ce degré du décoratif, les motifs rouges et verts s’inscrivant
sur les trois murs sont aux proportions et aux teintes de
deux moissonneuses batteuses de l’agriculture intensive :
Une rotary combine Massey Ferguson 8570 et une John Deere 2266
des années 80 - 90's. Leurs gabarits se présentent à l'échelle un demi,
à l'exception d'un motifs qui est aux vraies dimensions de la machine.

Les peintures murales, images évidées des machines vues
de face ou de côté, sont des marqueurs d’espace. Leur distance génère
la disparition partielle de leur habillage de bande grise et jaune, et
ne laissent transparaître de leur posture qu'un ceinturage formant
une ligne d'horizon : Ring dans lequel s'affrontent les formes.

Installées devant le dernier pan de mur sous une rampe de néons,
les balles de fourrage établissent une ligne intégrant le centre des dalles
jointées. Cette ligne de démarcation de sculptures marchandes est
la traduction d'un repère entre le temps immobile (traditions, arriération)
et le globalisme (valeur ajoutée, économie politique). Mais elle figure
aussi en relief  l'alternance de la ligne horizontale des motifs.
La frontalité des ballots marque la séparation de l'intérieur avec l'extérieur,
de l'autre côté des fenêtres du bâtiment, qui donne un point de vue sur
la campagne. C'est métaphoriquement parlant la forme cinétique
du dispositif où le vrai est un moment du faux.

A l'image du pont de la moissonneuse, la situation sur la loggia relève
du confinement. Elle montre deux paysages qui se déclinent dans
une vue panoramique, à mi-chemin entre une réalité extérieure (façonnée)
et une image intérieur (fragmentée).

Au plan s’ajoutent des limites, au nuancier des teintes, à la masse
un poids, à la banalité la fantaisie.


Image associée




1 ) Le message photographique et le message sans code de Roland Barthes

"Depuis Le message photographique, un texte paru en 1961, plus directement centré sur la photographie de presse jusqu'à son dernier livre La chambre claire en 1980, Roland Barthes a continuellement insisté sur l'aspect paradoxal du message photographique qu'il définit à la fois comme un message sans code puisqu'il s'agit d'un analogue mécanique du réel chargé d'un pouvoir exceptionnel de dénotation mais aussi d'un message codé susceptible d'accueillir des procédés de connotation. Dans le premier texte cité, il distinguait les procédés de connotations suivants: trucage, pose, objets, photogénie, esthétisme et syntaxe: "Le paradoxe photographique, ce serait alors la coexistence de deux messages, l'un sans code (ce serait l'analogue photographique), et l'autre à code (ce serait l'art, ou le traitement, ou l'écriture ou la rhétorique de la photographie)". Il reconnaissait également comme autre procédé de connotation, l'adjonction de texte sous l'image, avec pour but essentiel d'expliciter, de signifier  et de réassurer l'homme dans un système de codes qui lui est familier. Lorsqu'en effet j'ai recours à la langue pour évoquer une photographie, je change de structure, j'opte pour un message définitivement codé, connoté qui prend parti sur les choses. Cependant, Barthes distinguait une photographie au-delà du langage, l'image traumatique:"...ce qui suspend le langage et bloque la signification". Devant une telle image, je ne peux trouver aucun langage par ce que la présence certaine du photographe, ("Il fallait que le photographe fût là...") est un garant de dénotation. L'explication et le commentaire servent avant tout à intégrer l'homme dans la société, à le rassurer et le trauma pur, lui, reste au delà de cette capacité de la langue, déstabilisant la relation habituelle de consommation d'image et de texte.

Dans un texte plus tardif (1964), Rhétorique de l'image, Barthes reviendra sur ces rapports du message linguistique dans ses rapports au message iconique. Il distinguera entre un procédé d'ancrage et de relais (lorsque texte et image sont en rapport de complémentarité, par exemple dans les dessins humoristiques et bandes dessinées). Soulignant la présence constante du message linguistique dans toutes les images de notre société (par exemple comme titre, légende, articles de presse, dialogue de film), il insistera alors sur les techniques de normalisation et de fixation de ce sens. L'image, de nature polysémique est une interrogation sur le sens; le message linguistique, le plus souvent, une technique de fixation du sens:
"(...) or cette interrogation apparaît toujours comme une dysfonction, même si cette dysfonction est récupérée par la société sous forme de jeu tragique (Dieu muet ne permet pas de choisir entre les signes) ou poétique (c'est le frisson du sens - panique - des anciens grecs; au cinéma même, les images traumatiques sont liées à une incertitude (à une inquiétude) sur le sens des objets ou des attitudes. Aussi se développent dans toute société des techniques diverses destinées à fixer la chaîne flottante des signifiés, de façon à combattre la terreur des signes incertains: le message linguistique est l 'une de ces techniques."

La valeur répressive du texte (surtout dans sa fonction d'ancrage) sert donc à diriger le lecteur dans sa lecture de l'image, le texte devenant "(...) vraiment le droit de regard du créateur (et donc de la société) sur l'image".
Plus tardivement, dans des textes ambigus, entre essais photographiques et romanesques, par exemple Roland Barthes par Roland Barthes (1975) ou La chambre claire, Barthes repensera ces limitations théoriques en explorant diverses combinatoires d'entre texte et images. (...)
Dans Roland Barthes par Roland Barthes, l'auteur déstabilise complètement les jeux de correspondances et de commentaires instaurés traditionnellement entre le texte et la photographie. Communément, (...) le rôle de la photographie consiste à dévoiler un visage derrière l'écriture, à nourrir la curiosité du lecteur, à rajouter des informations pouvant enrichir le texte de l'écrivain connu. Dans Roland Barthes par Roland Barthes, ce sont les photographies qui ouvrent le texte mais elles sont présentées par l'auteur comme un choix d'après l'écriture, ce qui perturbe la chronologie du texte et montre son aspect de construction: "Voici, pour commencer, quelques images: elles sont la part du plaisir que l'auteur s'offre à lui-même en terminant son livre". Dans un mouvement inverse, le texte est aussi une évaporation progressive de l'image, puisque la seconde partie correspond à un corps fait uniquement d'écriture, à une liberté gagnée sur les codes de l'image et de l'Imaginaire: "Un autre imaginaire s'avancera alors: celui de l'écriture. Et  pour que cet imaginaire-là puisse se déployer sans être jamais retenu, assurée, justifié par la représentation d'un individu civil, pour qu'il soit libre de ses signes propres, jamais figuratifs, le texte suivra sans image, sinon celle de la main qui trace."

Le passage calculé de l'image au texte correspond alors  à la naissance de l'écrivain, débarrassé de son image, de ses photographies, alors maître de ses signes propres. Ce jeu d'entre texte-image, cette évacuation de l'image photographique se retrouvent dans la forme de L'image fantôme; texte d'Hervé Guibert (...) qui se consacre à l'image photographique et à la prise photographique, et plus particulièrement à ses manques, aux images mortes nées laissées sur la rétine du photographe et qui pour différentes raisons n'ont jamais été développées. Il s'agit de 64 petites scènes, en général brèves, narrées de façon toute personnelle par l'auteur. L'auteur y traite aussi bien de  "L'image érotique" que de L'autoportrait" ou de L'image cancéreuse" et se promène dans le champ hétéroclite des manifestations subjectives de la photographie.
Ce texte n'incluant aucune illustration, il devient alors la seule matière visible et tout aspect potentiellement analogique de l'image est gommé d'avance. Le texte ne peut donc jamais servir d'ancrage ou de relais ou contrôler l'interprétation de l'image puis qu'il est tout puissant. Pourtant, la photographie en tant qu'objet virtuel et imaginaire n'est pas non plus dépossédée de sa polysémie: l'objet flottant qui naît de ces descriptions d'images avortées est laissé à l'imaginaire du lecteur. Il s'agit d'un nouveau rapport à l'image, un rapport à la fois directif et virtuel puis que le lecteur n'a pas la présence physique des images, un rapport d'entre, de déstabilisation volontaire des signes.
Le lecteur est donc livré au pouvoir narratif absolu mais laissé aussi beaucoup plus libre dans sa propre évocation d'images puisque les photos ne constituent pas un référent analogique qui viendrait enfermer la lecture dans les contraintes habituelles de lecture d'image. Le narrateur de L'if nous précise même que l'inclusion de photographies réelles dans le livre aurait eu pour effet (et nous repensons à Barthes) de stopper l'écriture. Dans "Les photos préférées", il explique: "Je pourrais acheter ces photos (...) J'ai même penser  les incorporer  au livre, mais au fur et à mesure que j'avance, elles deviennent étrangères à mon récit, qui devient vraiment un négatif de photographie". Guibert a choisi, dans la lignée de Barthes, de refuser la lourdeur analogique de l'image.

Quant à La chambre claire, ouvrage paru une année seulement avant L'image fantôme, les allusions y sont constantes. Ce que je veux souligner, c'est la continuité dans ce jeu subtil de textes et d'images chez Roland Barthes: l'image forte de la Chambre claireLa photo du jardin d'hiver, est celle du trauma, puisqu'il s'agit d'un trauma d'amour, la mère de l'auteur venant juste de mourir. Or, cette fois-ci, ce ne sont pas les mots qui font défaut mais l'image même, comme si les deux ne pouvait pas cohabiter. Le texte existe parce que la photographie n'est pas là. Barthes orientera tout son chant d'Eros et Thanatos de la seconde partie en dérobant au lecteur cette image absolue, invisible, car au-delà des mots dans un rapport classique d'ancrage. Seule la photographie de Daniel Boudinet, l'étrange Polaroïd, 1979 bleuté servant d'ouverture au livre, évoque la couleur du regard de la mère. Rideau muet, absence fantomatique de la mère, cette image ne trouvera jamais de contrepartie textuelle... Au coeur de La chambre claire, l'écrit tourne toujours autour de l'image manquante.
L'image fantôme emprunte et réactive ce scénario de soustraction. Chez Guibert, on est toujours dans l'univers de la perte, d'empêchement d'images, d'oubli d'appareil, dans la faille. Le livre, en effet, "...parle de la photo de façon négative, il ne parle que d'images fantômes, d'images qui ne sont pas sorties, ou bien d'images latentes, d'images intimes au point d'en être invisibles.""

Frédérique Poinat, L'oeuvre siamoise: Hervé Guibert et l'expérience photographique, L'Harmattan, 2008.



Lien : Prises de vues du dispositif Fantasy

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