... Au moment où parut, hésitante, l’œuvre d'art, le travail était depuis des centaines de milliers d'années le fait de l'espèce humaine. A la fin, ce n'est pas le travail, mais le jeu, qui décida lorsque l’œuvre d'art s'accomplit et que le travail devint en partie, dans d'authentiques chefs-d’œuvre, autre chose qu'une réponse au souci de l'utilité. Certes l'homme est essentiellement l'animal qui travaille. Mais il sait aussi changer le travail en jeu. Je le souligne à propos de l'art (de la naissance de l'art) : le jeu humain, vraiment humain, fut d'abord un travail, un travail qui devint un jeu. Quel est finalement le sens des peintures merveilleuses qui ornent en désordre des cavernes difficiles d'accès ? Ces cavernes étaient de sombres sanctuaires que des torches éclairaient faiblement ; ces peintures, il est vrai, devait opérer magiquement la mort des bêtes du gibier qu'elles figuraient. Mais leur beauté animale, fascinante, après des millénaires d'oubli, a toujours un sens premier : celui de la séduction et de la passion, celui du jeu émerveillé, du jeu qui retient le souffle, et que sous-tend le désir du succès.

Extrait de Les Larmes d’Eros de Georges Bataille, 1961


























Untitled Mirror foil, adhesive tape, printed paper on aluminum panels, Isa Genzken, 2015