Boxe me up and ship me home


Le projet W.U.E. (Welttunterganserlebnis) est la proposition d’une peinture murale et d’un dessin se trouvant sur un même plan. Fort d’une approche à la fois absorbée et émotive de la peinture A Bigger Splash, le dispositif W.U.E. revient sur cette grande éclaboussure de David Hockney fixée dans le nec plus ultra de la lumière Californienne.

 

D’abord, il me faudrait préciser que je n’ai aucune intellectualisation de ma réception esthétique quant à cette œuvre. Je suis dans un ressenti, immergé dans un espace de lumière où la chaleur et la quiétude me coupe de toute réalité extérieure. Je vis un moment dans un endroit. Une temporalité. Mon regard ne relève que de mes impressions, mais ma lecture qui arrive après me pousse à me concentrer sur la forme. Je tente alors de replacer les signes perçus dans un contexte, peut-être celui déjà existant à l’époque, mais je ne l’ai pas vécu. Sortir de la sensation, cela induit de remettre la composition en question dans un certain ordre. Quand la voix-off de Sens Soleil de Chris Marker dit : « Savez-vous qu’il y a des émeus en Ile-de-France ?» Et que l’image filmique me montre l’oiseau dans un parc, je me vois à ma place devant l’écran mais je n’ai jamais vu un émeu ailleurs que dans un parc, dans son environnement naturel par exemple, et cela produit une abstraction. L’artificialité du décor planté autour du plongeon de David Hockney n’est plus, de fait, un ensemble des forces objectives de la peinture, mais une peinture devenue bonne ou mauvaise, car cette réalité je la fantasme pour de vrai, mais seulement comme ça car je n’ai l’ai jamais vécu.

 

Dans le dispositif W.U.E, l’état de choses incarné par l’image de la peinture originale me conduit à reconsidérer la forme picturale en présence, de la façon la plus commune pour atteindre une vue globale de l’objet, comme le dessin d’un éclaté en mécanique. Il me faut préciser une dernière chose sur la peinture de David Hockney qui revêt un caractère essentiel sur cet objet et donc sur la peinture que j’ai fait d’après elle. A Bigger Splash est d’abord un polaroid de l’artiste avant d’être un tableau, ce qui explique la marge épaisse de toile brute qui encadre la peinture. Le processus dans sa forme allographique montre que l’élément central de cette œuvre n’est pas la simple représentation d’un paysage à la surface d’une toile, mais le report d’un médium vers un autre. A l'image d'un sablier que l’on retournerait pour mesurer, non plus le temps entre un début et une fin, mais une épaisseur de la réalité passant par la matière.

 

Suivant les quatre pans de murs accessibles (opérable) de la chambre d’hotel, j’ai emprunté quatre couleurs dans la palette de la peinture de David Hockney. Le nuancier diminué du dispositif W.U.E s’attache aux couleurs du tableau formant des plans horizontaux et verticaux. Ce sont des indices qui encadrent cette peinture de la Nouvelle Subjectivité, mais aussi les limites matérielles d’une objectivité. Dans la forme réifiée de mon dispositif, il s’agit d’un jaune correspondant au plongeoir, l’élément permettant l’introduction du sujet. Il est représenté à l’effigie d’une vraie planche de plongeoir dans l’échelle des standards. En face, un aplat de couleur surligné au crayon représente la couleur de l’eau de la piscine : Ses dimensions sont celles de la peinture qui se trouve à la Tate Britain. Sur les références horizontales viennent s’ajouter les verticales. A droite de la fenêtre, un autre aplat coloré surligné au crayon répète le format initial du tableau d’Hockney, cette fois-ci à l’échelle ¼ : Sa couleur est celle de la bande couleur marine où se trouvent les skimmers (meurtrières d’évacuation d’eau) du bassin. Elle est le repère de la surface de l’eau dans A Bigger Spash. Enfin sur le mur en vis-à-vis, un dernier aplat de couleur terre surligné au crayon redimensionné à l’échelle ½ est le témoin du pan de mur ocre de la maison derrière la piscine. Chaque motif est aux proportions du format A Bigger Splash. Répété trois fois et s’adaptant aux murs de la chambre, il se positionne successivement au centre des surfaces en question.
















Image 1 & 2 : Yves Klein 1961
Image 3 : David Hockney, A Bigger Splash, 1967, acrylique sur toile, 242,6 x 243,8 cm, Tate Britain, Londres
Image 4 : Motif BSW1
Image 4 : Motif BSW1 en situation, peinture acrylique, mine 7B , 243 x 243 cm, Hôtel Burrhus, Vaison-la-Romaine, 2016
Image 5 : Motif DBW1 en situation face au motif BSW1, peinture acrylique, 230 x 46 cm, Hôtel Burrhus, Vaison-la-Romaine, 2016

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

NYC 2001 / man falling from WTC


Pour Joseph Gabel, cette notion de mission divine fait partie intégrante de la perception
schizophrène du changement historique dans le monde réel. Gabel voit un lien entre
«le syndrome de la cause externe et le sentiment morbide de fin du monde [WUE]…
Par conséquence, quand l’événement s’impose à une conscience réifiée, cette dernière
rend cela évident au moyen d’une double technique d’enténébrement partiel: du point de
vue de l’explication causale, elle interprète cela comme un acte dû à une force
extérieure ; au niveau de l’expérience vécue, elle le ressent soit comme une catastrophe,
soit au contraire comme une irruption soudaine et significative (et toujours hétéronomique)
dans le vide axiologique [vide de valeurs] du monde lui-même: une mission divine.
Bref, comme une crise de folie, la WUE est une crise axiologique, une sorte de tempête
de valeurs aux frontières entre deux atmosphères axiologico-dialectiques de densités
différentes… Une connexion est donc créée entre le rationalisme morbide et le phénomène
d’expérience de fin du monde. C’est en tant qu’aspect du mode anti-dialectique de
l’être-dans-le-monde que l’on peut mettre la WUE dans la même catégorie que la
perception morbide, les hallucinations et les autres éléments de l’expérience
sous-réaliste». L’hétéronomie est le contraire de l’autonomie ; c’est un état d’aliénation
produit par le fait que nous sommes dirigés par des forces extérieures, par exemple la
manipulation des traumatismes de notre passé.

Extrait de 9/11 Synthetic Terror, Made in USA de Webster G. Tarpley




9/11 Synthetic Terror, Made in USA de Webster G. Tarpley cover book, Tree of life editor, 2005 


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------



JOSEPH GABEL
La Réification
ESSAI D’UNE PSYCHOPATHOLOGIE DE LA PENSÉE
DIALECTIQUE

Extrait (Chapitre I)

L’aliénation ou plus exactement la réification des activités humaines est donc un fait social,
et aussi un fait intérieur contemporain précisément de la formation de la vie intérieure et
“privée” de l’individu. Une psychosociologie de l’aliénation est possible.
HENRI LEFEBVRE, Le Matérialisme dialectique

Toutefois ce qui porte plus spécialement la signature de la schizophrénie c’est le caractère
rigide, théorique et inhumain de leurs conceptions.
HENRI BARUK, Précis de psychiatrie


DE LA RÉIFICATION EN GÉNÉRAL

La notion de réification est d’origine marxiste; elle occupe une place
prépondérante dans l’oeuvre de deux penseurs bien connus: MM.
Georges Lukacs et Henri Lefebvre. Cependant son importance a
partiellement débordé les cadres du marxisme classique chez un
penseur comme Ch. Mannheim et entièrement chez Heidegger
dont la parenté intellectuelle avec Lukacs a été récemment mise
en évidence par M. L. Goldmann. La question des rapports entre
psychiatrie et marxisme est à l’ordre du jour. Elle a été l’objet d’un
certain nombre de publications, notamment – en France – celles de
MM. Bonnafé et Follin. Ces auteurs situent le problème dans une
large perspective historique. Nous nous bornerons à l’aborder ici
sous l’angle d’un problème très partiel : les rapports du phénomène
réificationnel avec le fait psychiatrique. Ainsi posée, la question a un
double aspect.

D’une part, l’introduction en psychiatrie du concept de réification
permet de mieux comprendre certaines données de la nosologie
classique. D’autre part la réification étant aussi – et avant tout – une
catégorie de la philosophie de la culture, son étude rend possible
l’application en psychologie sociale de certaines données de la
psychiatrie, notamment de la notion de schizophrénisation.C’est là
encore une question de brûlante actualité. Elle a été posée il n’y a
pas très longtemps dans les colonnes de cette revue.Habent sua
fata libelli. L’ouvrage dans lequel Lukacs, encore jeune, a exposé
l’essentiel de ses vues concernant la réification est considéré à
l’heure actuelle par son auteur comme dépassé. Sa position critique
vis-àvis de ce phénomène de pseudo-matérialité qu’est la réification
a poussé Lukacs, très hégélien à l’époque, vers une position
idéalisante. Aussi bien, Geschichte und Klassenbewusstsein n’a
été ni réimprimé ni traduit. Il est donc indispensable de résumer
l’essentiel de ses thèses. Faut-il dire qu’un pareil résumé ne
saurait être fait autrement qu’à vol d’oiseau ? Une pensée aussi
riche que celle de Lukacs est naturellement rebelle à tout essai de
condensation.

Le problème de la réification est étroitement lié à la théorie de
Marx sur le caractère “fétiche” de la marchandise (Fetischcharakter
derWaare).

Selon Marx, le capital est à la fois un objet matériel (machine,
marchandise) et en même temps le centre de cristallisation de
relations humaines. Un instrument peut demeurer matériellement
identique dans deux contextes économiques différents ; il ne sera
capital que dans un contexte capitaliste, c’est-à-dire lorsqu’à travers
lui s’établiront des relations humaines caractéristiques de
la forme capitaliste de la société. Une marchandise, en tant
qu’objet, correspond à un besoin humain susceptible lui aussi de
rester identique à travers les âges. Mais il est, en plus, le substrat
obligatoire d’une certaine forme de production sociale; en tant que
fait social, le vin produit par l’esclave antique n’est pas identique à
celui qui résulte de l’effort productif de l’ouvrier agricole moderne.
Par le fait de son double aspect – matériel et social, substantiel et
relationnel – la marchandise revêt dans l’économie classique un
caractère mystérieux qu’exprime bien la terminologie marxienne. Un
penseur, aussi éloigné du marxisme que N. Berdiaeff, a qualifié de
géniale la théorie du fétichisme de la marchandise et Lukacs y voit
la véritable clef de voûte de l’édifice théorique du marxisme.

La théorie lukacsienne de la réification est étroitement liée à
ces considérations. Lukacs montre que le caractère relationnel
interhumain, donc historiquement passager et relatif (dialectique),
des catégories économiques est masqué par la matérialité du
capital, ce qui lui confère une apparence de “phénomène de la
nature” éternel. 

Un ensemble de catégories économiques, qui en
réalité subit – comme toutes choses existantes – la loi dialectique du
Πάντα, entre par là dans le domaine des choses éternelles.
Il en résulte que l’homme de l’univers réifié vit dans un
monde inhumain. Un chapitre important de Geschichte und
Klassenbewusstsein est consacré à l’étude de la rationalisation en
tant que phénomène réificationnel.

Le travail rationalisé dissocie la personnalité de l’ouvrier; c’est un
facteur d’atomisation. Dans ses livres directement inspirés par la
lecture de Lukacs, Berdiaeff insiste sur cette “atomisation” de la
vie moderne qui prend chez lui rang de catégorie principale de
la civilisation contemporaine et constitue ainsi un des éléments
essentiels de son pessimisme culturel. L’homme du monde réifié
se trouve ainsi en face d’un univers hostile où les produits de
son activité propre lui apparaissent sous l’aspect de puissances
étrangères qui l’écrasent. “Lorsque des hommes deviennent des
instruments, lorsque des activités humaines n’ont que des fins
utilitaires (même masquées par des idéologies justificatives), il y a là
une condition inhumaine”, dit avec force M. Henri Lefebvre.

Cette condition inhumaine se manifestera encore par une certaine
prépondérance de l’aspect quantitatif de l’existence. Le monde réifié
est avant tout un monde de la quantité. “Les valeurs d’usage, les
travaux des individus vivants sont qualitatifs, hétérogènes. Les
valeurs d’échange et le travail social sont quantitatifs... La valeur
d’échange se mesure quantitativement ; sa mesure spécifique est la
monnaie. Le travail quantitatif est une moyenne sociale dans
laquelle disparaissent tous les caractères qualitatifs des travaux
individuels, sauf un qui est commun à tous ces travaux et qui
les rend commensurables: tout acte de production réclame un
certain temps.” Mais ce temps n’est pas la durée concrète de
l’activité créatrice vivante; c’est un temps spatialisé. “La temporalité
perd dès lors son caractère qualitatif, changeant, fluide; elle se
transforme en un continuum rigide bien délimité, rempli de ‘choses’
quantitativement mesurables (qui sont les productions’ de l’ouvrier,
réifiées, objectivées de façon mécanique et détachées de la
personnalité humaine totale), elle se transforme en espace”. Ne
croirait-on pas lire une citation de Minkowski? La temporalité du
monde réifié nous apparaît désormais comme une véritable
temporalité schizophrénique.

Il en résulte une conséquence importante: l’incompréhension
radicale de la conscience réifiée devant le phénomène de l’histoire.
Installé dans un monde où le passé domine le présent et l’avenir, et
dans lequel l’espace a pris la place de la durée, l’homme du monde
réifié ne peut pas comprendre l’histoire dans ce qu’elle a de
créativité et de spontanéité. Dès lors le fait indéniable du
changement se reflète dans la conscience de l’immédiateté
comme une catastrophe, comme un changement brusque venant
de l’extérieur et excluant toute médiation. En effet, la notion
d’événement implique une transformation dialectique de la quantité
en qualité; c’est à la fois une continuation du passé et une rupture
avec le passé. L’existence réifiée, toute en quantité, ne comprend
pas l’événement et y substitue la notion de catastrophe,
conséquence de l’action extérieure. Vue de cette perspective,
l’histoire apparaît comme fonction d’une action démiurgique; une
force extérieure (Dieu, le héros, un parti) y prime l’efficience de sa
dialectique autonome. La conscience réifiée est essentiellement une
conscience anhistorique.

Mais l’univers humain est aussi – et avant tout – un univers des
valeurs. Le monde de dissociation des totalités concrètes, de
spatialisation et de quantification qu’est l’univers réifié sera
nécessairement le siège d’une dégradation des contenus
axiologiques de l’existence. Sa morale sera assez typiquement ce
que l’on appelle actuellement la morale objective; la catégorie de
l’efficience s’y substitue à celle de l’intention morale. Dans le monde
de la rationalisation extrême, l’intention de l’ouvrier, sa vie morale
en tant que personne, importent peu ; pour la société, il ne compte
guère qu’en tant que rouage destiné à accomplir un geste particulier.
Dans un monde réifié, il devient lui-même chose.

Enfin, l’expérience vécue de la réalité réifiée se traduit par une
logique particulière et cette logique se trouve naturellement aux
antipodes d’une logique dialectique. On risque de se méprendre
complètement sur le sens de cet aspect important de la philosophie
dialectique si l’on perd de vue l’étroite corrélativité de termes comme
“pensée non dialectique”, “fausse conscience”, “réification” ou
“aliénation” (dans le sens marxiste du mot); en fait, il s’agit là d’une
même réalité vue sous des angles différents.



Le texte "La fausse conscience" de Joseph Gabel paru dans la revue sociologique L'Homme et la société, N. 3, 1967.




Résultat de recherche d'images pour "JOSEPH GABEL La Réification ESSAI D’UNE PSYCHOPATHOLOGIE DE LA PENSÉE DIALECTIQUE"

Le texte intégral Joseph Gabel La Réification éditions Allia, 2009




"Boxe me up and chip me home" est le refrain d'un chant des Marines que l'on entend dans la fiction Full Metal Jacket de Kubrick. La séquence se déroule lors de la marche en cadence d'une section de jeunes recrues, pendant l'entrainement sur un camp militaire américain, période précédant leur mobilisation dans la guerre du Viêt-Nam.

Yves Klein : portrait réalisé dans la « salle du vide » à l’exposition Monochrome und Feuer du Museum Haus Lange de Krefeld en 1961
Représenter en marche dans l’espace d’une « sensibilité immatérielle ». Un espace sans haut ni bas, un espace abstrait, qui incite Denys Riout à qualifier le portrait d’"atterrissage apaisé de son saut dans le vide." L’espace kleinien, espace de réconciliation entre le corps et la machine, entre le réel photographique et l’abstraction picturale, est un espace réflexif voué à être rempli de questions. Un vide qui, faute d’être montré, peut être raconté. 
Extrait de l'article Yves Klein ou l’imaginaire du saut sans chute: histoire d’un motif impossible, Joséphine Jibokji, Histoire de l’art, numéro 80 

Le blog de l'APAHAU