Guy Debord et le renversement idéaliste de la dialectique marxiste. James Becht


























(Première publication : Lignes, 34, Hazan, 1998)









1
Un  des  multiples  enjeux  qui  parcourent  la  pensée  critique  contemporaine  est  sa confrontation  aux  thèses  situationnistes.  Mais  une  telle  confrontation  n’a-t-elle  pas  déjà  eu  lieu  ? Il serait  assez  fastidieux de  se  mettre à  la recherche des  multiples  auteurs qui, depuis plus  de  vingt-cinq  ans,  empruntent des  concepts  ou  des  bribes  de  discours  aux  auteurs situationnistes,  et  plus  particulièrement  à  Guy  Debord  et  Raoul  Vaneigem.  Pourtant,  la diffusion  de  la  théorie  situationniste  reste  très  éclatée  et  très  parcimonieuse,  et  nous  ne disposons  en  France d’aucune étude  de  fond  sur  ce  sujet.  Les  deux  seuls  ouvrages  qui  sont parus à ce jour portent sur des points plus historiques qu’à proprement parler théoriques (1). L’absorption  de  ces  thèses  soulève  quelques  problèmes  dont  le  majeur  semble  bien  être le constant  va-et-vient  qu’elles  opèrent  entre  des  grands  axes  de  la  réflexion  philosophique occidentale : idéalisme et matérialisme, dialectique et métaphysique. Je m’en tiendrai ici à une lecture serrée de La société du spectacle de Guy Debord, dont la récente réédition en format de poche est le prétexte du présent article, y pointant un balancement constant entre idéalisme et  matérialisme.  Je  soutiendrai  l’hypothèse  suivante  :  de  Marx  à  Lukacs,  et  de  Lukacs  à Debord,  la  philosophie  matérialiste  critique  emprunte  un  chemin  qui  lui  fait  finalement renouer  des  liens  avec  ses  origines  métaphysiques.  Les  conséquences  en  sont  une réconciliation  avec  certains  thèmes  propres  à  l’analyse  classique  de  l’économie  marchande-capitaliste et un glissement possible vers l’idéalisme.

2
Dans un premier temps Karl Marx (1818-1883) élabore les principales problèmatiques du  matérialisme  dialectique.  Il  fait  une  description  extrêmement  précise  du  processus  de production  des  marchandises  et  du  procès  de  développement  du  Capital,  raison  principale, sinon  unique,  et  point  d’ancrage  matériel  de  l’aliénation  dans les  formations  sociales contemporaines.  Il  systématise  finalement  ses  réflexions  dans  une  théorie  du  salariat  et  une théorie  de  la  valeur.  Tout  en  explicitant,  dans  cette  théorie,  l’aliénation  matérielle  de l’homme,  il  n’en  développe  pas  expressément  les  conséquences  sur  la  conscience  que  les individus  ont  de  leur  propre  situation.  Dans  un  second  temps,  Georg  Lukacs  (1885-1971) réaffirme  la  position  de  Marx  et  la  développe  en  l’étendant  au  domaine  de  la  conscience (conscience  individuelle  et  conscience  de  classe).  Il  éclaire  certains  points  d’ombre  de  la théorie de son prédécesseur, en commençant par sacrifier une  visée proprement matérialiste, au profit d’un rapport d’équivalence entre l’action de la conscience et la pratique. Enfin, Guy Debord (1931-1994), se basant sur les théories de  Marx et de Lukacs, part des conclusions de ce dernier concernant l’attitude contemplative des individus vis-à-vis du procès de production et de leur propre existence, pour construire la notion de société du spectacle (2).La  position  de Guy Debord est, tout  à  la  fois,  un  retour  de  la  théorie  du  matérialisme dialectique vers l’idéalisme hégélien et un dépassement nécessaire de la théorie critique, qui permet de mieux comprendre les développements récents (depuis le début de ce siècle) de la 
société capitaliste.

Karl Marx : La loi de la valeur.
" Le caractère d’égalité des travaux humains acquiert la forme de valeur des produits du travail ; la mesure des travaux individuels par leur durée acquiert la forme de la grandeur de valeur des produits du travail ; enfin les rapports des producteurs, dans lesquels s’affirment les caractères sociaux de leurs travaux, acquièrent la forme d’un rapport social des produits du travail. Voilà pourquoi ces produits se convertissent en marchandises, c’est-à-dire en choses qui tombent et ne tombent pas sous les sens, ou choses sociales ". Karl Marx, Le Capital, 1867.

3
Pour Marx le rapport social qui lie les individus entre eux, rapport par lequel ils entrent en  contact  les  uns  avec  les  autres,  revêt  pour  ces  individus  la  forme d’un  rapport  entre  des choses,  les  marchandises.  La  mystification  qui  s’opère  au  cours  du  processus  d’échange écarte l’humain du devant de la scène sociale. Le caractère social des marchandises (fruits des travaux  de  producteurs  privés),  leur  caractère  équivalent de  produits  d’un  travail  humain général  et  abstrait,  ne  s’affirme  que  dans  les  limites de  l’échange  marchand.  L’aspect qualitatif des objets, ce qui fait leur valeur d’usage, se distingue au cours de l’échange de leur aspect purement quantitatif,  leur  valeur d’usage sociale : la valeur d’échange, manifestation phénoménale  dans  la  sphère  de  la  circulation  de  la  dépense  générale  de  force  de  travail,  la valeur." La forme du produit et les conditions de sa fabrication impliquent qu’il est engendre exclusivement comme support  de  la  valeur,  son utilité n’est que la condition de la valeur "(3). Dans  le  rapport  d’échange,  l’usage  potentiel  de  l’objet  n’est  pris  en  compte  que  pour servir de support matériel à  la valeur, la valeur d’usage est au service de la valeur d’échange. La  différence  qualitative  réelle des  travaux  qui  sont  à  l’origine  des  produits  est  niée.  Cette négation  ouvre  la  voie  à  ce  qui  sera  systématisé  par  le  taylorisme  :  la  dépossession  des ouvriers et de nombre d’artisans de leurs connaissances, de leur savoir de métier. Des travaux aussi  divers  que  celui  du  tisseur,  du  forgeron  ou  de  l’électronicien sont  mis  sur  un  pied d’équivalence (4), sont considérés comme parfaitement semblables. La spécificité du travail propre  é  chaque  métier  a  socialement  disparu.  Elle  continue à être connue par  la  qualité,  la valeur d’usage, que l’on reconnaît à tout objet, sans être reconnue par le système de l’échange 

4
marchand.  Sa  disparition  est  cependant  proche,  puisque  avec  l’extension  hégémonique  du machinisme  la  plupart  des  produits  ne  sont  plus  le  résultat  de  travaux  différents,  mais  de machines,  toutes  construites  selon  les  mêmes  lois  (de  la  robotique,  de  la  cybernétique,  de l’électronique,  progressivement  regroupées  en  Intelligence  Artificielle).  Des  travaux  de machines  sont  peu  à  peu  considérés  comme  les  équivalents  directs  de  produits  issus  de travaux  humains  (en  aucun  cas  on  ne  saurait  prétendre  que  l’artisanat  a  disparu,  même  si celui-ci  est  le  plus  souvent  dépendant  de  la  grosse  industrie  – cf. les  contrats  de  sous-traitance).  La  nécessaire  critique  d’un  effacement  de  la  qualité  derrière  la  quantité  est clairement exposée dans la théorie de Marx. Guy  Debord,  à  la  suite  de  Marx,  perçoit  l’origine  des  formes  contemporaines  de l’aliénation  dans  la  constitution  d’une  sphère  des  marchandises  " autonomes ".  Quant  au théoricien  de  la  société  de consommation,  Jean  Baudrillard,  il  en  arrive  à  ne  plus  voir les processus matériels de l’aliénation et l’ancrage ici-bas de sa propre pensée.Dans  le  monde  capitaliste  les  marchandises  sont  des  porte-valeur,  la  matérialité résiduelle d’un travail passé, du travail mort, des choses auxquelles est surajoutée de la valeur, par la dépense de force de travail vivante. Lorsque la production de valeur dépasse la valeur initialement  investie,  par  l’exploitation  des  producteurs  directs,  il  y  a  production  de  plus-value.  Cette  dernière  ne  pourra  devenir  valeur  à  son  tour qu’en  étant vendue  sur  le  marché sous la forme concrète de produit usuel, de valeur d’usage (5). Un  double  principe  d’aliénation  se  met  en  place  avec  la  croissance  du  capital,  son accumulation.  La  première  face  de  ce  principe  est  l’aliénation  de  la  force  de  travail  du prolétaire  au  capitaliste,  qui  s’en  approprie  l’usage  par  le  système  du  salariat.  Sa deuxième face est le reflet direct de la production des marchandises, et non plus du rapport salarial. Elle concerne tout autant le capitaliste que  l’ouvrier. Dès que  les  marchandises sont  mises  sur  le marché  et  échangées, elles  échappent  totalement  au  contrôle  de  leur  propriétaire : le capitaliste. Elles n’ont jamais, bien entendu, appartenu à leur producteur direct, l’ouvrier.  


5
Une sphère dans  laquelle  les  marchandises évoluent de  façon totalement  incontrôlée  voit  le  jour. Etant donné qu’il y a toujours plusieurs capitalistes se faisant concurrence, et étant donné que le marché connaît constamment l’affrontement d’une grande diversité de capitaux, c’est une véritable  anarchie  de  la  circulation  qui  vient  s’ajouter  à  l’anarchie  de  la  production  :  les marchandises  dominent  le  système  social  dans  son  ensemble.  Les  thèses  situationnistes  qui explicitent  l’aliénation  de  l’homme  par  la  domination  des  marchandises  (et  non  plus  par l’organisation de la production),  puis  par  le spectacle qu’offre  la  circulation  de  ces  mêmes marchandises, sont préfigurées par les travaux de Marx. Les capitalistes, devant se soumettre au  désordre  d’une  organisation  de  l’économie  sur  laquelle  ils  n’ont  plus  aucun  contrôle,  se retrouvent à leur tour aliénés à un système social dont ils continuent à espérer pouvoir tirer un médiocre  profit.  " Il  y  a  perte  de  contrôle  des  phénomènes  économiques  et  ceux  qui  sont placés pour avoir une influence sur eux se rendent compte qu’ils sont impuissants, qu’ils sont complètement débordés " (6). Georg Lukacs : La théorie de la conscience de classe." La forme marchande du produit et la forme monétaire de la marchandise masquent la transaction " (7). Travaillant à partir de  la théorie de  la  valeur, Lukacs constate un décalage entre la conscience que les individus ont des faits et la réalité des forces motrices de l’histoire (antagonisme  entre  forces  productives  et  formes  de  la  production,  lutte  des  classes). En se penchant sur les relations entre les choses, l’économie politique classique s’y soumet, elle ne voit  plus  les  hommes, mais  seulement  les  objets.  Elle  est  victime  du  fétichisme  de  la marchandise, tandis que Marx redécouvre, derrière les formes objectives figées de la société, les relations interindividuelles qui en constituent la base. 

6
" Le  capital  n’est  pas,  pour  Marx,  une  chose,  mais  un  rapport  social  entre  personnes, médiatisé  par  des  choses " (8). En  brisant  la  choséité  des  rapports  sociaux  on  ne  brise cependant  pas  les  choses  elles-mêmes,  ni  leur  cours  autonome.  Cette  objectivité  reste  une forme d’objectivation de la société humaine à un moment donné de son évolution historique. Ne saisissant pas la société comme un tout concret, comme un ensemble de rapports sociaux de  production  et  une  division  conséquente  de  la  société  en  classes,  la  science  économique officiellement dominante, développée au sein des institutions, interprète les relations sociales comme des relations entre individus, et non comme des relations entre ouvrier et capitaliste, entre fermier et propriétaire foncier, entre employeur et employé, entre dominant et dominé. En appréhendant le monde dans sa totalité, Marx découvre quelles pensées les hommes pourraient  avoir  s’ils  en  faisaient  de  même,  si  ces  pensées  étaient  conformes  à  la  situation objective de la société. Cette compréhension critique non subjective, débarrassée du moule de l’idéologie dominante, de l’organisation fondamentale de la formation sociale capitaliste et de la  place  que  les  divers  individus  y  occupent,  ne  peut  être obtenue qu’à partir d’un  point  de vue, le point de vue de la classe qui est la dissolution de toutes les classes : le prolétariat. Ce point  de  vue  est un  point  de  vue  auquel  s’offre  la  totalité  de  la  formation  sociale  et Lukacs peut dire de lui qu’il est le point de vue général qui est la dissolution de tous les points de vue particuliers. " On aboutit  à  quelques  types  fondamentaux clairement  distincts  les  uns  des  autres et dont le caractère essentiel  est déterminé par  la typologie de  la position des hommes dans le processus  de  production. Or, la  réaction  rationnelle  adéquate  qui  doit,  de  cette  façon,  être adjugée  à  une  situation  typique  déterminée  dans  le  processus de production,  c’est  la conscience  de  classe " (9). " L’action  de  la  classe  ne  peut  être  comprise  qu’à  partir de sa conscience. 






7
Elle  ne  peut  jamais  être  saisie  comme  le  résultat  provenant de  l’addition  de l’ensemble  des  volontés  et  des  pensées  individuelles. Il  y  a  un  gouffre  entre  la  dimension psychologique  des  pensées  propres  à  chaque  individu,  descriptibles  et  interprétables  en  tant que telles, et la conscience de classe. La conscience de classe, se formant dans les limites de la  structure  économique,  peut  tout  aussi  bien  être  fausse  conscience  ou  même  absence  de conscience d’une classe par rapport à sa situation économique historique et sociale réelle. Ce qui reste à déterminer, selon Lukacs, ce sont les conditions à partir desquelles on peut savoir d’une conscience si elle est conscience ou absence de conscience, conscience juste ou fausse conscience, en établissant à une typologie historique et systématique des degrés possibles de la conscience de classe " (10).La conscience n’étant pas au-delà des conditions historiques de sa production, elle ne peut  prétendre  à  une  supériorité  sur  le  monde. A partir  de  sa  théorie  de  la  conscience  de classe, Lukacs définit sa propre position dans la société : le rôle du philosophe est d’expliquer au monde social ses propres actions, sans jamais les lui dicter. C’est ce que reflète si bien la position  suivant  laquelle  la  théorie  de  la  conscience  de  classe  n’est  pas  la  théorie  d’une conscience  qui  toujours  existe,  mais  d’une  conscience  possible,  qui  peut exister.  Lukacs renoue avec la pensée philosophique comme forme de pensée spéculative, avec une pratique de la philosophie antérieure aux Thèses sur Feuerbach de Marx. " La  théorie  objective  de  la  conscience  de  classe  est  la  théorie  de  sa  possibilité objective " (11). Que ce possible objectif soit aujourd’hui,  jusque dans sa réalisation  la plus profonde,  une  réification  de  la  pensée  et  de la  conscience,  c’est  ce  qu’exprime  par  la  suite Lukacs.  Ce  qui  incombe  au  philosophe  révolutionnaire,  c’est  selon  lui  d’indiquer  des  voies possibles vers une société autre et non de définir arbitrairement – selon " l’humeur du foie ",aurait dit Crevel – un cours de l’Histoire, un sens, qu’il soit révolutionnaire ou apocalyptique.

8
La théorie marxienne de  la  valeur et  la théorie  lukacsienne de  la conscience de classe exposent  comment  les  relations  entre  hommes  ont  pris  la  forme,  dans  leur  manifestation, d’éléments  à  la  fois  objectifs  et  abstraits.  Objectifs  et  abstraits, car  ils  sont  la  matérialité trouble d’un  concept,  celui  de  valeur (qu’on  ne  s’y trompe pas,  le  concept  est  encore  ici la manifestation des conditions matérielles, et non l’inverse). Les sujets qui exercent l’activité de production  et  l’activité  d’échange,  qu’ils  soient  capitalistes ou ouvriers, adoptent progressivement,  lors  du  développement  historique  du  capital,  une  attitude  de  pure contemplation  vis-à-vis  de phénomènes qui  leur  échappent. Les  individus  sont  à la fois  des éléments du mouvement des marchandises – production, achat et vente des produits du travail comme de la force de travail – et des spectateurs de ce mouvement. " La  métamorphose  de  la  relation  marchande  en  chose  dotée  d’une  "objectivité fantomatique" ne peut donc pas en rester à la transformation en marchandise de tous les objets destinés  à  la  satisfaction  des  besoins.  Elle  imprime  sa  structure  à  toute  la  conscience de l’homme  ;  les  propriétés  et  les  facultés  de  cette  conscience  ne  se  relient  plus  seulement à l’unité  organique de  la  personne,  elles  apparaissent  comme des  "choses"  que  l’homme "possède"  et  "extériorise",  tout  comme  les  divers  objets  du  monde  extérieur.  Et  il  n’y  a, conformément à la nature, aucune forme de relation des hommes entre eux, aucune possibilité pour  l’homme  de  faire  valoir  ses  "propriétés"  physiques  et  psychologiques,  qui  ne  se soumettent, dans une proportion croissante, à cette forme d’objectivité " (12). Les biens d’usage, en apparaissant à  la  vue comme des  marchandises, ont perdu  leur choséité propre de valeur usuelle, pour acquérir une nouvelle forme d’objectivité. Il en va de même de la conscience des hommes,  dont  la  structure  est  entièrement  modelée  par  l’organisation  du  système  de production  des  objets.  Les  hommes  sont  tout  entiers  incorporés,  physiquement  et 

9
spirituellement, au système mécanique des rapports sociaux de production. C’est ce qui fonde, ironiquement,  la  possibilité  pour  le matérialisme  dialectique  de  " [...] découvrir dans la structure du rapport marchand le prototype de toutes les formes d’objectivité et de toutes les formes correspondantes de subjectivité dans la société bourgeoise " (13). Par ces développements, Lukacs  analyse  comment  le  processus  de  mystification  de  la réalité  objective  du  monde  est  en  même  temps un  processus  de  mystification  de  la  réalité subjective des hommes. Il étend les analyses de Marx en en développant systématiquement les conséquences  idéologiques. En ce  sens, d’ailleurs, il  les  complète  plus qu’il  ne  les  dépasse. Lorsqu’il lit Histoire et conscience de classe, le lecteur n’est aucunement tenté de penser que Lukacs  s’écarte  d’une  analyse  strictement  matérialiste.  Quand  il  a  fini, le  doute  s’est cependant immiscé.  Dans  son  désir  de  développer  une  théorie  (marxiste)  de  la  conscience, Lukacs  en  arrive  presque  à  donner  autant  d’importance  aux  processus  spirituels  qu’aux processus matériels. S’il fait toujours dépendre les premiers des seconds, il leur voue tout de même un statut d’objectivité.  Et  c’est  justement  sur  cette  objectivité du  subjectif  que  Guy Debord va  se  baser  pour  produire  sa théorie  du  spectacle.  Le  monde  est,  chez  Lukacs déjà, objectivement à réellement renversé " (Debord), le spectacle domine la production. Ici s’esquisse ce qu’il conviendrait d’appeler un certain retour à Hegel. Suivant en cela  la  voie tracée par Lukacs, Guy Debord procéde, dans son ouvrage  le plus  important (La Société du spectacle, Paris, Béchet-Chastel, 1967), à un remaniement complet de la théorie de la valeur et de la conscience, il opère un renversement.

10
De Guy Debord à Jean Baudrillard : la société spectaculaire marchande et la constitution d’une ontologie idéaliste du monde capitaliste. " En  analysant le  spectacle,  on  parle  dans  une  certaine  mesure le  langage même du spectaculaire,  en  ceci  que  l’on  passe  sur  le  terrain  méthodologique  de  cette  société  qui s’exprime  dans  le  spectacle " (14). " L’ensemble  des  connaissances  qui  continuent de se développer  actuellement  comme  pensée  du  spectacle doit  justifier  une  société  sans justifications, et se constituer en science générale de la fausse conscience. Elle est entièrement conditionnée  par  le  fait  qu’elle  ne  peut  ni  ne  veut  penser  sa  propre  base  matérielle  dans  le système  spectaculaire " (15). Lors  du  développement  du  processus  de  production  des marchandises,  celles-ci  en  arrivent  à  transformer  le  monde  en  monde  de  l’économie marchande :  un  monde où  l’échange  des  marchandises  est  la  relation  entre  les  hommes qui s’impose à toutes les autres. Bien que semblant dans un premier temps résoudre le problème de la survie, de la satisfaction des  besoins primaires, par une forme particulière d’abondance, l’abondance marchande, le système de production des marchandises s’aliène progressivement les  hommes (16),  il  ne  leur  ouvre  aucune  réelle  possibilité  d’épanouissement,  de  sorte  que " l’abondance  des  marchandises,  c’est-à-dire  du  rapport  marchand,  ne  peut  être  plus  que  la survie augmentée " (17). Les  nécessités de  l’économie marchande  entraînent  la  création continue et  illimitée de nouveaux besoins. En devenant hégémonique, le monde de la marchandise masque toute autre partie du monde, le rapport marchand reste le seul rapport social visible. Arrivé à ce stade de domination, le  capital  se  change  en  spectacle,  condamnant  à  la  contemplation éternelle l’ensemble des individus. Les thèses de Lukacs, selon lesquelles la conscience de l’homme est intégralement  conditionnée  par  le  procès  de  développement  des  rapports  sociaux  de production, trouvent  ici  leur  aboutissement.  Parvenu  à  ce  point,  Debord  opère  un renversement, reproduisant à son tour, dans la théorie, la structure concrète de la réification. 





11
Plusieurs ambiguïtés surgissent. Tout d’abord, ce qui était déjà élaboré conceptuellement dans les théories économiques classiques, avant Marx, le redevient en quelque sorte avec Debord, puisque chez ce dernier le marché  domine  la  production.  L’effacement  progressif  de  la  sphère  de  production  des marchandises  au  profit  du  système  de  circulation  de  celles-ci est  une  affirmation  dans  la théorie  de  ce  qui  n’a  jamais  eu  de  fondement  réel  dans  la  pratique.  Cette  position  n’est cependant  pas  à  considérer  comme  un  maladroit  recul,  le  Debord  théoricien  est  bien  trop subtil pour tomber si facilement dans un pareil travers, mais bien plutôt comme une tentative de reformulation de la théorie marxiste, qui surestimerait alors les conséquences de l’échange marchand  sur  la  formation  de  la  conscience  qu’en  ont  les  individus  :  la  circulation  des marchandises étant la face visible de l’économie, elle s’imposerait totalement à la conscience et  lui  imprimerait  son  contenu  (Debord  fait  en  ce  sens  des  références  allusives  à  Karl Mannheim et à Joseph Gabel). La démarche élaborée par Debord prend pour point de départ la circulation des marchandises, ébauchant une analyse de la consommation, et du rôle de la publicité dans la consommation. Puisque la valeur d’usage est désormais totalement soumise à la valeur d’échange, elle doit être explicitement proclamée, " […] justement parce que sa réalité effective est rongée par l’économie marchande surdéveloppée ; et qu’une pseudo-justification devient  nécessaire  à  la  fausse  vie " (18).  La  confusion  dans  laquelle  tombe  Guy  Debord mérite  d’être  soulignée,  car  elle  peut  aujourd’hui  encore  être  rencontrée  dans  de  nombreux textes. Marx distinguait trois  niveaux d’expression de  la marchandise : la valeur d’usage, la valeur d’€change et la valeur. Bien souvent la valeur d’échange et la valeur sont confondues, on parle indistinctement de l’une et de l’autre, comme s’il n’y avait aucune différence. 

12
Or, la valeur  d’échange  n’est  jamais  que  la  manifestation  phénoménale de la valeur. " La marchandise est valeur d’usage ou objet d’utilité, et “valeur”. Elle se présente pour ce qu’elle est, chose double, dès que sa valeur possède une forme phénoménale propre, distincte de sa forme  naturelle,  celle  de  valeur  d’échange […] Je  ne  divise  donc  pas  la  valeur  en  valeur d’usage  et  en  valeur  d’échange  en  tant  qu’antithèses  en  lesquelles  l’abstraction  “valeur” se scinderait  ;  c’est  la  forme  sociale  concrète du  produit  du  travail,  la  marchandise,  qui  est, d’une  part,  valeur  d’usage,  et,  d’autre  part,  “valeur”,  non  valeur  d’échange,  car  la  simple forme  phénoménale  ne  peut  être  son  propre  contenu […] ; pour  moi,  la  “valeur” d’une marchandise n’est ni sa valeur d’usage ni sa valeur d’échange" (19).La  structure  de  la  production,  base  concrète  et  lieu  réel  de  constitution  de  la  valeur, n’est plus analysée par Guy Debord. Ceci aura deux conséquences. La première est que pour bien comprendre la théorie développée dans la Société du spectacle, c’est-à-dire conserver au raisonnement  de Debord  une  assise  matérialiste dialectique,  il  faut  avoir une solide connaissance  des  œuvres de Marx et  de  Hegel. L’ensemble des  thèses de Debord peut-être pris sous cette optique comme un ensemble de thèses de travail, au même titre que les Thèses sur Feuerbach (1845) de Marx. La seconde conséquence représente ce qui risque de se passer si  l’on  aborde  Debord  sans  bien  maîtriser  la  dialectique  matérialiste  :  le  lecteur  peut  alors avoir une appréhension idéaliste du phénomène posé comme point central du fonctionnement de la société spectaculaire marchande : l’échange marchand. Pour  bien  saisir  les  problèmes  que  soulève  l’approche  situationniste  de  l’économie spectaculaire-marchande, nous devons rappeler ici ce qu’est l’économie marchande-capitaliste dans  le  cadre  d’une  analyse  marxiste  stricto  sensu.  L’économie marchande-capitaliste  est l’économie de  l’échange marchand au sein des  formations  sociales capitalistes, qui  se situe, du  point  de  vue  

13
de  l’analyse,  au  niveau  de  la  circulation  des  produits  du  travail  aliéné  –rapport  salarial  entre  l’ouvrier  et  le  capitaliste,  aliénation  de  la  force  de  travail,  etc. Cette forme  d’économie  marchande,  organisation  de  l’échange  des  marchandises,  dépend directement  de  la  production  de  celles-ci.  Le  marché  est  une  forme  de  l’échange  qui  va constamment  être  modifiée  dans  le  temps  en  fonction  des processus  dominants de la production. La place que prend l’échange des marchandises n’est, par exemple, pas la même sous  le  féodalisme que  sous  le capitalisme. Dans la  formation sociale  féodale  il occupe une position économique marginale, tandis que dans les formations sociales capitalistes, en étant le  lieu  de  réalisation  effective  de  la  plus-value,  il  est  une  étape  nécessaire  du  processus d’accumulation  du  capital,  un  élément  indispensable  du  bon  fonctionnement  de  l’économie. Dans  le  féodalisme, les  rapports  sociaux  des  individus  dans  le  travail  – serf/seigneur s’affirment comme des  rapports  sociaux  entre  des  personnes – des  rapports  de  dépendance personnels –,  ils  ne  s’effacent  pas  derrière  des  rapports  sociaux  entre  des  choses.  Quand Debord  se  met  à  écrire  plus  souvent  sur  les  marchandises  et  sur  leur  échange  que  sur l’organisation économique de leur production, il privilégie l’effet de l’échange marchand par rapport  à  sa  fonction.  La  fonction  essentielle  de  l’échange  marchand (réalisation  de  la  plus-value),  sous  la  domination  du  mode  de  production  capitaliste,  est  effacée  au  profit de  son effet : la  disparition  du  lien  social  réel,  le  rapport  social  entre  les  individus,  derrière  une apparence, celle des objets. Il convient de montrer en quoi le renversement de la théorie de la valeur opéré par Guy Debord,  et  auquel  adhérent  implicitement les  théoriciens  s’en  inspirant  (par  exemple  le sociologue  Jean  Baudrillard  ou  les  rédacteurs  de  l’Encyclopédie  des  Nuisances)  n’est aucunement  nécessaire au  développement  de  sa  théorie  de  l’idéologie,  comme  théorie  du spectacle. Chez Marx, la  marchandise est achetée parce qu’elle a une valeur d’usage, la valeur ne se réalise que parce qu’elle se présente comme utile.

14
Rien ne permet d’affirmer que la valeur d’usage telle qu’elle est proposée à l’acheteur correspond à la valeur d’usage réellede  la  marchandise, objet de  la transaction. La  valeur d’usage, chez Marx, passe aussi par  le filtre  de  l’idéologie. C’est exactement  ce  que Debord entend  exprimer  lorsqu’il prétend  que l’échange dirige  l’usage. Or,  l’échange n’a  nullement  besoin de se substituer à  l’usage pour que  l’idéologie  marchande contribue  à  la  constitution  de  la  fausse  conscience  du consommateur. Le  procès  de  réification  était  en  fin  de compte chez Marx  le  procès d’aliénation de la conscience, la constitution de la fausse conscience, l’effacement dans la pensée d’un rapport social qui reste réel dans le monde matériel : " Ils ne le savent pas, mais ils le font " (20). Ce qui  était  chez  Marx  un  processus  idéologique  devient  chez  Debord  un  processus  matériel : " Ce que l’idéologie était déjà, la société l’est devenue " (21). Debord,  sans  jamais  y  tomber  complètement,  rouvre  le  piège  de  l’idéalisme.  Le renversement  de  la  conception  marxiste  de  l’idéologie (Marx et  Engels, Lukacs, mais aussi Korsch,  etc.)  a  pour  résultat  la  naissance  d’un  courant  théorique  renouant  avec  l’idéalisme hégélien et faisant du monde le produit de l’Esprit. Cette tendance tend à faire du monde un reflet des images du monde, la domination des objets n’y étant jamais que le support concret de la domination des images. Dans une sorte d’échappée hors du monde matériel vers celui de l’idéologie, l’objet, nous explique par  exemple  Jean  Baudrillard,  n’existe  plus que par  sa représentation, son image. Le monde est réduit à une simple représentation (ce qui n’est pas sans rappeler la métaphysique bourgeoise de Schopenhauer).

15
" La  consommation  n’est  ni  une  pratique  matérielle, ni une phénoménologie de l’“abondance”, elle ne se définit  ni par l’aliment qu’on digère, ni par le vêtement dont on se vit,  ni  par  la  voiture  dont on  se  sert,  ni  par  la  substance  orale  et  visuelle  des  images  et  des messages,  mais  par  l’organisation  de  tout  cela  en  substance  signifiante  ;  elle  est  la  totalité virtuelle  de  tous  les  objets  et  messages  constitués  dès  maintenant  en  un  discours  plus  ou moins  cohérent.  La  consommation,  pour  autant  qu’elle  ait  un  sens,  est  une  activité  de manipulation  systématique  de  signes " (22). Voilà  comment  Baudrillard  ne  voit  plus  que l’objet, la chose  ;  il  est aveuglé exactement dans  le  sens prévu par Marx, il  ne  voit plus  les relations entre les hommes nouées lors de la production et de l’échange des objets. Derrière la marchandise, se  cachent  définitivement  les  relations  pourtant  bien  réelles,  de  producteur à consommateur, d’employeur à salarié, d’exploiteur à exploité, de capital à travail ; toutes les relations constitutives de l’ordre capitaliste et fondatrices  des  formes  contemporaines  de l’aliénation sont effacées." Le  côté contemplatif  du  vieux  matérialisme  qui  conçoit  le  monde  comme représentation  et  non comme activité  – et  qui  idéalise  finalement  la  matière  – est  accompli dans le spectacle, ou des choses concrètes sont automatiquement maîtresses de la vie sociale. Réciproquement, l’activité rêvée de l’idéalisme s’accomplit également dans  le spectacle, par la  médiation  technique  de  signes  et  de  signaux  – qui  finalement  matérialisent un idéal abstrait " (23). Pour Baudrillard, le mythe de la  consommation  trouve en lui-même  son essence, il ne peut à aucun moment comprendre que ce mythe est celui de l’abondance et qu’il trouve sa source dans la surproduction, mécanisme élémentaire du fonctionnement capitaliste de l’économie marchande. 

16
" Il  n’y  a  donc  plus  non  plus  d’instance  maléfique comme  celle  du  Diable, avec qui s’engager  par  un  pacte  faustien  pour  acquérir  la  richesse  et  la  gloire,  puisque  ceci  vous  est donné  par  une  ambiance  bénéfique et  maternelle,  la  société  d’abondance  elle-même " (24). Ce  qui  manque  à  la  théorie  de  Baudrillard,  c’est  une  analyse  historique  de  l’aliénation. Le mécanisme  qu’il  d'écrit  n’est  expliqué  qu’à  l’aide  de  catégories  atemporelles,  même  si  elles sont  situées  dans  le  temps.  Les  éléments  qu’il  reprend  à  Marx  sont  détachés  de  leurs fondements. Le mouvement de séparation du processus d’aliénation de ses raisons matérielles (et  de  sa  raison  première  dans  la  société  capitaliste  :  le  régime  du  salariat),  commencé  par Debord,  trouve  un de  ses  achèvements  possibles  dans  la  théorie  de  Baudrillard.  Niant  la dimension  historique  de  l’aliénation, ce  dernier  en  fait  le  simple  résultat  d’un  processus d’extériorisation  ;  il  nie,  par  la  même occasion,  toute  possibilité  historique  de  libération,  il confond  le psychologique et  le  social  en risquant de  noyer  le second dans  le premier : " La part de nous qui nous échappe, nous ne lui échappons pas. L’objet (l’âme, l’ombre, le produit de  notre  travail  devenus  objet)  se  venge.  Tout  ce  dont  nous sommes dépossédés reste lié à nous, mais négativement, c’est-ƒ-dire qu’il nous hante. Cette part de nous, vendue et oubliée, c’est encore nous, ou plutôt c’en est la caricature, le fantôme, le spectre, qui nous suit, nous prolonge, et se venge " (25). La  position  de  Baudrillard  est,  d’un  point  de  vue  idéologico-politique, foncièrement contre-révolutionnaire et, même si la société de consommation est effectivement pour lui une société dans laquelle le Capital est présent partout, il inverse la réalité en faisant de la logique de la marchandise une logique de la pure consommation, alors que celle-ci est avant tout une logique  de  la  production  et  de  la  surproduction à  partir  de  laquelle se construisent les multiples  processus d’aliénation (économique,  politique,  spirituel,  etc.).  Baudrillard  n’arrive pas à assumer la fin de la transcendance divine, qui est due à ce fait que chaque individu est le producteur  de  sa  propre  aliénation,  non  pas  pour  des  raisons  psychologiques  ou  mystiques, transcendantes,


17
mais  pour  des  raisons  d’organisation  historique des  rapports  sociaux de production. Il  ne  fait aucun doute que le serf ou  l’esclave ne sont pas non plus des hommes libres,  mais  leurs  aliénations  respectives  sont  autres et  les  moyens de  leur  fin  le  sont  aussi. Dans  la  société  contemporaine, le  rapport  marchand  rend  possible  le  capitalisme  qui,  en retour, en favorise l’extension à l’ensemble des rapports sociaux. Le  passage  qui  s’opère  de  la  domination  formelle  du  capital  (au  XIXe  siècle) à sa domination réelle (entrevue  par  Marx,  mais  s’accomplissant  au  début  du  XXe  siècle), est accompagné d’un renversement  qualitatif  de  son  analyse  par  les  théories  radicales.  S’il  ne s’agit  pas  d’un  véritable  retour  à  Hegel  ou  à  la  métaphysique,  dans  le  sens  où  l’on  ne prendrait pas en compte les éléments matériels constitutifs de la société contemporaine (ce qui n’est le cas ni chez Baudrillard, ni a fortiori chez Debord), il s’agit bel et bien d’une hésitation momentanée à laquelle il faut prendre garde.





Notes :
1.  Il  s’agit  des  travaux  de  Jean-François  MARTOS,  1989,  Histoire  de  l’Internationale 
Situationniste, Paris, Ivrea, et de Pascal DUMONTIER, 1990, Les Situationnistes et Mai 68. 
Th€orie et pratique de la révolution (1966 -1972), Paris, Ivrea. 
2. Il existe une histoire théorique parallèle qui aboutit à des notions similaires. Cette histoire 
passe  par  Amedeo  Bordiga  et  Jacques  Camatte,  directeur  de  publication  de  la  revue 
Invariance. Ce dernier en arrive à l’affirmation que le Capital est une représentation, proche 
de  la  notion de spectacle élaborée par Guy Debord. Sa réflexion se construit à partir de ses 
travaux  sur  l’œuvre  de  Bordiga,  et  plus  particulièrement  sur  Propriété  et  Capital,  ouvrage 
paru en 1952. Les écrits de Debord s’étalent de 1952 à 1993. La Société du spectacle paraît pour 
la première fois en 1967. Les concepts qui y sont développés en système sont le fruit d’une 
réflexion qui couvre les quinze ou vingt années précédentes. 
3.  Karl  MARX,  1968,  Principes  d’une  critique  de  l’économie  politique  (1857-1858),  in 
Œuvres, économie, T.II, Paris, Gallimard, p.299.
4.  L’équivalence,  tel  que  le  terme  est  employé  ici,  revêt  une  dimension  quantitative,  par 
opposition à l’égalité, qui revêt une dimension qualitative.
5. S’interrogeant sur les rapports du Capital et de la valeur, Marx écrit : " La condition de son 
existence (du capital) – la valeur – est elle-même posée comme un produit et non comme un 
principe supérieur, planant au-dessus de la production ", Karl MARX, op.cit., p.253.
6.  Jacques  CAMATTE,  " Contre  la  domestication ",  1973,  Invariance,  II,  3,  Savona, 
International, p.79. 
7.  Karl  MARX,  cité  par  Georg  LUKACS,  1984,  Histoire  et  conscience  de  classe  (1923), 
Paris, Minuit, p.33.
8. Ibid., p.71. Guy Debord détourne cette phrase dans La Société du spectacle.
9. Georg LUK’CS, "La conscience de classe", op.cit., p.73.
10. Ibid., p.77.
11. Ibid., p.105.
12. Georg LUKACS, "La réification et la conscience du prolétariat", op.cit., p.129.
13. Ibid., p.109.
14. Guy DEBORD, 1972, La Société du spectacle (1967), Paris, Champ Libre, p.12.
15. Guy DEBORD, op.cit., p.152.
16. Cette position rappelle celle de Marx et Engels : " Par conséquent, dans la représentation, 
les  individus  sont plus  libres sous  la domination  de  la  bourgeoisie qu’avant, parce que leurs 
conditions  d’existence  leurs  sont  contingentes  ;  en  réalité,  ils  sont  subordonnés  à  une 
puissance objective ", dans Karl MARX et Friedrich ENGELS, 1968, L’Idéologie Allemande
(1845-1846), Paris, Editions Sociales, p.133. C’est nous qui soulignons.
17. Guy DEBORD, op.cit. , p.28.
18. Ibid., p.32.
19. Karl MARX, 1968, " Notes critiques sur le traité d’économie politique d’Adolph Wagner 
(1880) ", in Œuvres. Economie, II, Gallimard, p.1543-1544.
20. Karl MARX, cité par Georg LUKACS, op.cit., n.2, p.74. C’est nous qui soulignons.
21. Guy DEBORD, op.cit., p.168. On retiendra aussi le détournement de ce passage de Marx : 
" Le capital n’est pas une chose, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des 
19. choses " qui devient chez Debord : " Le spectacle n’est pas un ensemble d’images,  mais un 
rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ".
22.  Jean  BAUDRILLARD,  1992,  Le  Système  des  objets  (1968),  Paris,  Gallimard,  " Tel ", 
p.276.
23. Guy DEBORD, op. cit., p.167.
24. Jean BAUDRILLARD, 1993, La Société de consommation (1970), Paris, Denoël, p.309. 
Baudrillard formule ainsi, sans doute involontairement, l’autocritique de sa propre théorie.
25. Ibid., p.305. Le passage suivant de Lukacs, touchant directement à ce sujet, nous a semblé 
lumineux :  " Le caractère marchand de  la  marchandise,  la  forme quantitative abstraite de  la 
possibilité de calculer apparaissent ici sous leur forme la plus pure ; cette forme devient donc 
nécessairement  pour  la  conscience  réifiée  la  forme  d’apparition  de  sa  propre  immédiateté, 
qu’elle  n’essaie  pas  – en  tant  que  conscience  réifiée  – de  dépasser,  qu’elle  s’efforce  au 
contraire, par un "approfondissement scientifique" des systèmes de lois saisissables, de fixer 
et de rendre éternelle ", op.cit. , p.121-122.


Article's pictures 1, 2, 3, 4 : University of Illinois at Chicago, Circle campus Aerial, 1965, other Field Theory drawings, Walter Netsch